La lumière bleutée irradie toute la surface vitrée de l’aquarium comme un écran, comme un vitrail. En se posant à la surface du fond sablonneux, elle en délimite une coupe géologique. À l’interface de cette ligne iridescente, se distingue le dessus et le dessous ; deux mondes opposés – minéral et aqueux – dialoguent. La limite est poreuse et entremetteuse telle la surface de l’épiderme. Alors dans l’épaisseur du fond minéral, se dessine un étagement de lits de sable aux granulats hétéroclytes abritant une multitude de souches vivantes. Sous l’aspect inerte de la matière des milliers de micro-organismes participent à la filtration active et naturelle de cet écosystème aquatique passant d’un milieu à l’autre.
Le trait jaune fluo qui cerne la toile, en trace le contour et en marque la limite avec le monde extérieur. Ce trait jaune fluo, joint d’étanchéité délibérément teinté est le premier geste de toutes les peintures de grand ou de petit format de Clédia Fourniau. L’artiste récemment diplômée des Beaux-Arts de Paris expérimente une peinture qui parle de peinture. Par une démarche de protocole, tout se crée dans l’épaisseur : de la couleur sur de la couleur ; de la matière sur de la matière. Point d’effacement ou de repentir, les couches se superposent et se complètent brouillant le dessous et le dessus. Par un double mouvement entre sédimentation et infiltration, les peintures réagissent. Vivantes, contrôlées et incontrôlables, les différentes couches – traces de chaque geste – provoquent par la sensation colorée un renversement de la figure et du fond et troublent nos perceptions. Alors le résultat protocolaire, en forme d’archive des gestes, nous absorbe.
La loi de Dalton publiée en 1802 énonce l’impact de la pression sur un ensemble de gaz parfaits et permet d’expliciter les effets produits par la mise sous pression de l’azote lorsque le.la plongeur.se s’engouffre dans les abysses. Alors seul.e, confronté.e à l’immensité et à l’ivresse des profondeurs, un nouvel imaginaire se façonne. Lors de la descente dans les paysages submersibles, le système colorimétrique s’altère. Alors que les rayons lumineux ne pénètrent que partiellement dans les fonds marins, les couleurs disparaissent.
Le rouge, l’orange, le vermillon comme autant de couleurs chatoyantes qui font les atours de la faune et la flore se diluent dans le bleu infini des profondeurs, dans une monochromie irrésistible, dans un vivier poétique.
Là, face à nous, cette grande toile qui nous dépasse et nous appelle. Sa surface est terre de contraste : à la fois liquide et résineuse à la fois mat et rugueuse comme un corail sur un rocher. La matière est haptique, les couleurs abyssales. Les peintures de Clédia Fourniau, présentées ici pour sa première exposition personnelle à PARIS-B, nous engagent et nous invitent. Explorant une variété de formats, l’artiste nous interpelle par grand écart ; à nos yeux, à nos corps. Regarder les peintures de Clédia Fourniau c’est forcément s’y projeter ; s’en approcher c’est se confronter à son propre reflet. Car c’est autant de notre corps de spectateur, que du sien, dont il est question. Clédia Fourniau lutte avec ses toiles pour nous offrir une expérience sensorielle ; une plongée dans l’infini qu’il soit matière ou couleur. Alors, abandonnons-nous.
Thomas Havet