Par le biais d’une peinture figurative réaliste de tradition classique, Dorian Cohen s’attache à la création d’une imagerie urbaine entre paysages, mirages et scènes de genre naturalistes. Organisé en série d’images, son travail envisage de construire une généalogie de récits urbains en étudiant les mécaniques picturales et narratives à l’œuvre entre chacune de ces séries.
Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie « Dans l’Intérieur des Silences », l’artiste présente une nouvelle suite de peintures du Cycle des Histoires Naturelles.
« La lumière irradie, douce, délicatement infusée, amenant progressivement les nuances de couleurs à leur maturité. De l’espace de la toile ainsi nimbé émane une tendresse entêtante. Vert d’eau, bleu pâle ou jaune boisé. Dans les scènes d’intérieur, la clarté provient d’une fenêtre vitrée, d’une verrière haut placé ou d’un néon artificiel faisant scintiller les faïences d’une cuisine ou le bois ciré d’une table. Dans les extérieurs, ce sont les arbres qui ouvrent le champ au soleil, selon leur bon vouloir.
Dorian Cohen peint des scènes de la vie quotidienne d’une banalité en apparence heureuse. Mais, sensiblement, entre les plis plus ou moins vigoureux des drapés, se ressent le drame plus ou moins vif d’un non-dit familial, dans la montée écarlate des joues après une partie de football entre amis, se lit la gratitude des souvenirs d’une génération. Lentement, avec l’attention méticuleuse d’un travail solitaire en atelier, l’artiste mène l’ambition d’une peinture narrative dont le cœur n’est pas juste la représentation de l’instant présent, à la manière d’un cliché photographique, mais bien celui de la représentation du temps qui passe, de l’âge qui avance, de l’enfance qui file, de la pesanteur de l’âge adulte qui contraint. Lentement, oui, car il est perceptible que les peintures de Dorian Cohen sont comme des gemmes que l’œil polit. A force du regard, les ombres s’épaississent et les rais de lumière s’illuminent. De cette manière subtile qu’ont les feuilles des arbres de préciser leurs contours après une pluie d’orage. Sans être pour autant totalement dénuées d’une certaine naïveté qui éclate justement dans le systématisme presque graphique du dessin des feuillages que l’artiste aime foisonnants et rayonnants. S’il est aujourd’hui un peintre de l’intime et de l’espace domestique, il est aussi un peintre de paysage.
C’est d’ailleurs cette montée en tonalités du décor qui révèle la profondeur psychologique de ses sujets : couple au lever du jour ou au coucher dont on ne sait s’il vient de se disputer ou s’il se résigne au ronronnement de la vie mais dont l’immense et magnifique drapé carmin de la couverture du lit dit peut-être tout de leur passion conjugale ; petit garçon fasciné par une lanterne lumineuse ou rêveur devant une fenêtre à l’opacité translucide ; vieille femme à sa cuisine dans une obscurité tamisée trahissant la solitude inévitable du grand âge ; jeune fille attablée dans un petit restaurant de quartier au décor japonisant qui semble être le signe d’une lignée familiale qu’elle se doit de poursuivre. Scènes vécues ou observées au détour d’errances urbaines.
Dorian Cohen parle de ses « histoires naturelles » dans lesquelles il recherche un « naturalisme intérieur », ces moments anodins et répétés qui rythment inlassablement nos vies, sources de joie éphémères et de mélancolies tenaces. Sa touche fluide et veloutée, jamais photoréaliste mais toujours d’un soin parfait, garde en elle le geste du peintre, ce qui la rend passionnante. L’artiste ne fait jamais de reproduction au rétroprojecteur mais dessine tout à main levée et cela se sent. Fasciné par Vallotton, Millet, Toulouse-Lautrec, mais aussi par les moins connus Emile Friand et Rémy Cogghe, il a comme eux le charme de la peinture descriptive, mais surtout celui de la figuration réflexive. Chez lui en effet, chaque élément du décor, dont l’œil se délecte de la finesse, se répond et fait sens.
Avant d’être peintre, Dorian Cohen était urbaniste et ses premières peintures étaient des vues urbaines ultraréalistes sans personnage, mais déjà habitées par une végétation insolemment verdoyante. Ainsi, il part toujours d’une composition précise où le décor, le paysage, enveloppe les personnages, comme l’environnement dans lequel on vit détermine nos destinées. Zola, Maupassant, ne sont pas loin, guides intellectuels d’un néo-naturalisme pictural visant à scruter le négatif de nos existences. Ce que l’on ne regarde pas, ce dont on ne parle pas, mais qui nous façonne et nous destine malgré nous. Et c’est bien dans le courant du quotidien que ce déterminisme social se perçoit le plus fortement. Les cuisiniers au travail dans l’arrière-boutique d’un restaurant, une conversation secrète entre deux amis, les sentiments d’un jeune père face à son petit garçon… Dos courbés, regards figés, gestes dans l’attente, poses toujours silencieuses, introspectives : tout indique un certain poids de l’existence tandis qu’au mur, accrochées comme des indices pour l’œil averti, une affiche d’une exposition de Toulouse-Lautrec ou de Félix Vallotton résonne comme un clin d’œil de peintre à ses aînés mais aussi comme une revendication d’un certain genre de peinture qui n’est pas mort.
Aujourd’hui, la figuration revient en grâce, portée par une jeune génération d’artistes qui s’adonne à nouveau à la scène de genre. Celles que nous livrent Dorian Cohen ont le mérite de susciter l’émotion du récit, voire même du roman, soutenue par un magnifique traitement de la lumière, chargée en couleurs, qui ne sont autres que des sentiments. Pour preuve, c’est à un cycle que l’artiste dit s’attaquer, et non à une simple série, souhaitant que sa peinture évolue avec ses personnages à la manière d’une chronique intimiste de notre époque, sur le temps long. Le roman pictural de Dorian Cohen ne fait que commencer. »
Julie Chaizemartin – Journaliste et critique d’art
Dorian Cohen est un jeune peintre français né à Paris en 1987, il vit et travaille actuellement à Paris. Diplômé en génie urbain et urbanisme, autodidacte en peinture, son travail de peintre est révélé au monde de l’art en 2017 lors du 62ème Salon de Montrouge. En 2018, il est lauréat du prix de la Fondation Colas puis est nominé en 2019 à la 10ème édition du Prix Sciences PO pour l’Art Contemporain