PARIS-B est heureuse de présenter du 23 avril au 18 juin 2022 l’exposition Bientôt qui regroupe pour la première fois les œuvres de Hervé Priou dans le cadre du PB-Project. A l’image de cette distance induite par le mot « bientôt » – car bientôt n’est jamais maintenant – les peintures d’Hervé Priou explorent l’étrangeté du sujet face au monde, comme la relation entre des choses, si proches, immédiates, et pourtant incomprises à jamais.
Parfois les images sommeillent au coin des yeux. Elles flirtent aux abords de la sieste et ne se présentent qu’aux regards mi-clos. C’est qu’elles ont besoin d’un seuil pour surgir ; d’une porte ou de paupières entrouvertes pour se manifester. Les œuvres d’Hervé Priou habitent ces embrasures. Elles offrent leur surface à ces apparitions, pour en arrêter la cadence et le mouvement fugitif. Elle le fige, elle l’étire peut-être mais sans jamais le lisser. Car quelque chose continue d’échapper dans ces compositions. La précision du trait dessine des lignes de fuite qui gardent le sens en désordre. Il s’amuse à nous désorienter, à nous égarer dans ce paysage vers lequel mène toutes les routes. Ces tableaux appuient le trouble. Les choses y sont à la fois ressemblantes et méconnaissables ; elles oscillent entre des identités plurielles et parfois réversibles. On ne saurait dire combien de doigts habitent cette main, ou si ces citrons ne sont pas plutôt des canards. La botte de carotte est aussi une chevelure attachée ; et les deux, “bientôt”, continuent de pousser.
Les personnages d’Hervé Priou jouent donc sur plusieurs tableaux. On ne trouvera pas d’énigme résolue, pas d’expression déchiffrable sur ce visage qui n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Juste ce regard hagard d’un gars sans perspective mais par qui tout s’ordonne : les arches, les inclinaisons, les poivrons avec lesquels il parvient à jongler. Les yeux dans le vague, les pieds dans le vide, il se duplique entre un destin flamboyant et un autre éperdu. C’est lui qu’on reconnaît partout ; lui qu’on retrouve derrière ce faciès extensible ; lui qu’on devine dans ce strip-tease insécure, dont il ne reste que le brassard. Ses contorsions nous prouvent que l’élasticité des muscles est aussi celle des signes. Elles nous rappellent que les apparences sont toujours prétendues et que nos existences sont multiples. Tout est ainsi peuplé dans ces peintures. Les poires se serrent les unes aux autres comme pour se tenir chaud, et plusieurs silhouettes peuvent s’échapper d’un même membre. Ici, les ombres sont des forçats, extirpées des sentences d’une vie sans présages. Elles nous disent que quelque chose en nous se fait la malle ; et que tous les virages sont de bonnes options.
Qu’on se risque donc à revenir sur nos pas, à réitérer le coup d’œil – pour déceler dans ces images ce qu’on n’avait d’abord pas su voir. Si l’on ausculte ces peintures, on verra par exemple qu’un cadre se dissimule dans une majorité d’entre elles. Le tableau ne s’en tient pas à l’arbitraire des rebords de la toile mais dessine au contraire ses recoins. Ici, des feuilles de vignes ornent le rebord de la fenêtre, le redoublent et viennent le sertir. Là, un carrelage se superpose aux sillons des melons. A nous alors, de lire entre ces lignes. Ce que l’œuvre nous signifie subtilement, c’est qu’elle invente ses propres lois. Elle teste la gravité, défie la pesanteur et ce qui tient en équilibre. Certains pieds se hissent sur un mille feuilles de livres enchâssés, tandis que d’autres, déjà très loin du sol, sont en lévitation. Les rapports d’échelle, aussi, font preuve d’imagination. Le fœtus, la forêt, tiennent idéalement dans le creux de la main. C’est dire que la substance du corps est aussi celle du monde, et qu’il faut de la matière grise pour éprouver la verdure. Car ces visions partent du cerveau, s’enfantent peut-être par les narines, avant de finir en peinture.
La grammaire de ces œuvres emprunte ainsi à celle du rêve. Le tableau s’assume comme une aire de fantasme, le lieu où peuvent vagabonder de fausses prophéties. Les contours ont beau être précis, parfaitement rigoureux, aucune velléité d’imitation n’anime le coup de pinceau. C’est là aussi que repose le caractère jubilatoire de ces créations. Ici, le geste ricane, de ses pleins de ses déliés émane des intonations. Il oscille entre une extrême tension et des lâchés qui s’apparente presque à des expirations. Car il y a du souffle dans ces peintures ; quelque chose d’aérien dans ces panneaux de bois qui se décollent du mur. Les œuvres d’Hervé Priou se situent quelque part entre la pneumatique du bord de route et le flottement des songes. C’est comme si elles promenaient “leur inconscience consciente sur le tronc d’arbre de la vie ordinaire”1 en direction de l’horizon – vers ce “bientôt” bouché par le cul d’une camionnette ou le bruissement des hélicoptères. Elles nous susurrent que le “bientôt” appartient aux interstices ; qu’il se glisse aussi entre l’écart qui sépare la cloison de l’oeuvre pour résonner à l’oeil de celleux qui voudront bien entendre. A nous alors, d’écarquiller le lobe. “Bientôt” les bois aussi auront des oreilles. En attendant, écoutons les nervures du tableau.
Salomé Burstein
Né en France en 1990. Hervé Priou est diplômé de la Cambre à Bruxelles où il étudie les liens entre art et espace urbain. Après deux années d’itinérance, Hervé Priou intègre l’atelier de Jean Michel Alberola aux Beaux Arts de Paris pour se concentrer sur sa pratique de la peinture à l’huile. Diplômé depuis 2018, il vit et travaille entre la Haute-Corrèze et Paris.