Pour cette première exposition personnelle à Paris, le peintre confirme sa volonté de construire une généalogie de récits urbains. Seront ainsi dévoilées, à travers une alternance entre paysages urbains et scènes de genre, une quinzaine d’huiles sur toile.
Une femme enceinte se prenant le ventre avec effroi, la tristesse d’un homme posant dans l’atelier d’un artiste, ou encore le silence mélancolique de deux trentenaires dans un restaurant, Dorian Cohen convoque la scène de genre en portant un regard naturaliste sur les drames de la vie urbaine. L’artiste propose une interprétation contemporaine des fondamentaux de ce mouvement littéraire et pictural du 19ème siècle construit autour de l’œuvre d’Émile Zola, soit une représentation naturelle et sans concessions de la vie sociale.
Ici, le très ordinaire repas entre amis est métamorphosé par le peintre qui opère une dramatisation de la scène en jouant sur un anachronisme entre la représentation d’un sujet très actuel et un traitement de l’image relevant de la peinture classique. Des personnages mangent ensemble mais paraissent seuls dans leur pensée. Le peintre rend visible leur psychologie mais aussi adresse d’une certaine manière une critique sociale sur l’individualisme progressif de la société qui nous rend muets, même dans les lieux de sociabilité.
Dans Le Tunnel des Artisans, le peintre nous plonge dans le quotidien d’un préparateur de commandes de fruits et légumes, nouveau travailleur de l’ombre des grandes villes. Le traitement théâtral voire cinématographique en clair-obscur du dos torturé du travailleur par le port répétitif des cagettes n’est pas sans rappeler les paysans de Jean-François Millet, autre inspirateur naturaliste du peintre.
C’est dans le tableau Mère et Fils, que semble culminer la cruauté narrative tant recherchée par l’artiste, dans son inspiration zolienne. Dans une chambre aux mobiliers vieillissants, un septuagénaire est assis devant sa mère en déambulateur qui semble avoir déjà dépassé l’âge des 90 ans. Dorian Cohen évoque ici cette génération d’hommes qui, dans l’apaisement de la retraite, redeviennent les enfants de leur mère, toujours en vie, pour vivre le crépuscule de leur relation. La tristesse de cette scène actuelle est magnifiée par le velouté de la lumière crépusculaire en teintes de bleu qui se dépose avec douceur sur le mobilier de la scène.
Dans son autre série des Urbanités, commencée en 2015, le peintre décrit ces espaces urbains banals là où le beau n’est pas évident, là où ni même le laid n’est flagrant. A travers le grand jeu de la peinture à l’huile, il révèle le potentiel pictural de ces endroits. Ainsi la ribambelle des pots de plantes d’une cour parisienne est mise en scène dans un parterre en damier de losanges, travaillé avec la perspective des peintures italiennes du 15ème siècle. L’enchevêtrement des façades d’immeubles aux matériaux variés des cœurs d’ilots parisiens se transforment en concours de papiers peints à la Vuillard, contrastant avec l’enthousiasme d’une végétation résiduelle dans cette minéralité étouffante.
Si l’œuvre socialisante du peintre est indéniablement teintée d’un léger pessimisme, il n’est que le miroir logique du désenchantement d’une génération face à un avenir très incertain entre crises climatiques, écologiques et sanitaires. Ressentiment similaire que l’on peut retrouver chez les peintres et écrivains naturalistes plus d’un siècle avant face au déterminisme social de l’époque.
Dorian Cohen est un jeune peintre français né en 1987. Il vit et travaille à Paris. Diplômé en génie urbain et urbanisme, autodidacte en peinture, son travail de peintre est révélé au monde de l’art en 2017 lors du 62ème Salon de Montrouge. En 2018, il est lauréat du prix de la Fondation Colas puis est nominé en 2019 à la 10ème édition du Prix Sciences PO pour l’Art Contemporain.