Gözde ĺlkin est née en 1981 à Kütahya (Turquie), elle vit et travaille à Istanbul.
‘Nous transmettrons le désir, l’extase, la rage, la coopération et l’autonomie afin de nous épanouir pleinement et ainsi reconquérir nos vies’ Umut Yıldırım
Dans le but de façonner sa propre compréhension du monde et de construire à la fois la mémoire et ses archives personnelles, Gözde İlkin travaille avec des anciens textiles domestiques tels que des nappes, des draps et des rideaux, insérant des images dans les motifs existants par le biais de la broderie et de la couture. Dans ses œuvres, l’artiste évoque des conditions humaines souvent mystérieuses qui peuvent donner lieu à diverses interprétations dans lesquelles s’entremêlent les sphères du personnel et du social, du privé et du public.
Dans cette exposition, l’artiste rassemble une sélection d’œuvres réalisées depuis 2013 et d’autres réalisées lors de sa résidence à la Cité des Arts à Paris en 2018 via la Fondation pour la Culture et l’Art à Istanbul (IKSV). Le titre Organized Habitation illustre les relations entre le monde naturel, animal et humain en disposant des silhouettes humaines sur des tapisseries dont les motifs représentent des animaux dans leur environnement naturel. La plupart du temps, ces paysages artificiels décorent les maisons des migrants venus de la campagne vers un mode de vie urbain dépourvu de toute nature, témoignant un sentiment de nostalgie envers celle-ci tout en révélant la relation entre culture et nature.
Cette série d’œuvres est créée en référence à l’éco-féminisme, qui voit des liens essentiels entre les formes historiques et contemporaines de domination de la nature par l’homme et l’exploitation des femmes. Il se concentre sur les formes relationnelles entre humains et non- humains et propose un modèle plus égalitaire, en incluant des «nuages de pensées» à la fois ludiques et chargées de questions. Ayant fondé ses travaux antérieurs sur des photos de famille et sur des coexistences inhérentes au concept de famille dans les domaines domestique et public, İlkin s’intéresse ici aux liens de parenté forgés entre différentes espèces et aux relations alternatives que nous pourrions établir avec la nature.
L’artiste associe destruction de la nature et transformation urbaine – les deux faces d’un même problème. Dans sa vidéo, les scènes de Stained Estate montrant la démolition de l’hôpital Taksim, situé près de chez elle et filmé telle qu’elle l’aperçoit depuis sa fenêtre, sont accompagnées d’une articulation de sentiments autour du vide laissé par l’hôpital et son rôle de témoin malgré elle. Tout en retraçant une époque caractérisée par des transformations urbaines brutales responsables de la destruction de notre mémoire spatiale, ce travail fournit une observation saisissante de ce que signifie être constamment exposé à la vue et au son de la ruine et être obligé de regarder se faire envahir son espace personnel. Le bourdonnement gênant des constructions, des démolitions et des écroulements qui s’insinue sans cesse dans sa maison et dans son atelier crée un contraste avec les autres œuvres qui traitent du bruit, tout en étant silencieuses. Les sons de la nature se glissent dans des œuvres telles que Waterfall, Rustle et Overheard.
Les figures de Hush Money, The Scar, The Symptom, The Attendant II et The Attendant V présentées dans l’exposition sont créées à partir de pièces de tissus déteriorés par la rouille que l’artiste coud sur les textiles, dessinant ainsi les contours au fil. Ces interventions, qui rappellent les taches présentes sur les tissus, rendent visible le processus de destruction et de transformation.
Rampart, une œuvre sur les rôles des genres et leur relation à la nature, représente un spectacle de pouvoir mettant en scène deux hommes sur un fond coloré orné de nature et d’oiseaux. L’œuvre Kingdom illustre les modes de fonctionnement organiques de la nature, tandis que Fathomless Dream met en scène l’union des personnages à la nature et Nature Escape la présence troublante d’un camion de chantier au milieu d’un environnement naturel peuplé d’ours polaires.
Dans l’ensemble de ses œuvres, İlkin nous propose de comprendre et apprendre sur la manière dont les plantes nouent des relations mutuelles, entre elles mais aussi avec les zones géographiques qu’elles habitent. Elle pense que nous pouvons « reconquérir nos vies en s’épanouissant mutuellement ».
Bige Örer- Directrice de la Biennale d’Istanbul
Février 2019