La végétation est luxuriante et elle dissout presque les plans. L’impression de profondeur vient des ombres colorées. Dans des formats verticaux comme La mer des Hystoires, Arnaud Rochard évoque le travail du papier dominoté et ses panoramas, les débuts du papier peint au XVIIIe siècle. Le paysage s’étend comme un motif et c’est là que réside toute l’ambiguïté de l’œuvre de l’artiste. A bien y regarder, on discerne le détail d’une plante comme sortie d’une planche botanique qui jouxte la silhouette d’un arbre, un chevalier perdu dans une forêt de lianes. La juxtaposition et le jeu d’échelles créent une désorientation visuelle entre les genres. L’artiste en employant des techniques associées aux multiples,comme la linogravure, qu’il détourne dans une complexe superposition de couches, parvient à des images uniques. Il épuise littéralement le motif et en fait son sujet principal comme dans le papier peint édité avec la marque Antoinette Poisson où la figure d’un cavalier se répète jusqu’à saturation. Quelles sont ces images qui restent après avoir habillé les murs, les tapisseries, les esprits de tant d’époques ? Sa connaissance de l’histoire des arts décoratifs, lui permet de déployer une démarche picturale qui sort de ce cadre et s’affirme pour elle-même, avec ce qu’elle comporte de secret et d’invisible.

Qu’il aborde les azulejos, ces carreaux de faience hispano-portugais apparu au XVème siècle, ou fasse référence, en laissant la toile libre, à la tapisserie, Arnaud Rochard se plait à mêler les temporalités. Volontiers éclectique, au premier sens du terme et selon la définition de Diderot qui caractérise ainsi les esprits libres, il mêle dans Casa la touche de l’huile et le cadre de la linogravure pour évoquer sur toile la spécificité du patchwork. Au-delà de la question du goût auquel on a réduit la notion d’éclectisme au XIXème siècle, il introduit les notions de filiation et d’héritage dont les blasons à moitié effacés d’Âge d’or sont les faces les plus visibles. Ce travail sur la transmission d’une culture visuelle montre des métissages et manie aussi bien des temporalités que des géographies différentes.

A l’image de La Mer des histoires, ce livre parmi les plus beaux illustrés du XVème siècle, il travaille les fragments qu’il assemble et compile. Dans cette chronique de la fin du Moyen-Âge, différents types de textes et de récits se mêlent, poésie et prose, histoire et fiction pour redessiner une généalogie du monde et l’image elle-même participe de cette entreprise avec notamment quelques cartographies. L’artiste se place dans cette même position avec des variations de registres et en jouant de récits existants et de leurs contrechamps. Avec la réserve et le non finito de Bataille arcade, il déplace des détails d’une scène de bataille comme il peut le faire aussi de scènes de chasse dans un autre contexte. L’idée de conquête ou l’enjeu de pouvoir semble devenir aussi vain que les combats du Chevalier inexistant d’Italo Calvino. Arnaud Rochard aime se référer à des auteurs de contes et de paraboles comme Salman Rushdie ; comme eux il nous porte à regarder ailleurs et peut-être à dessiner d’autres possibles.

— Henri Guette