LES LUEURS DU VIDE

05 novembre - 17 décembre, 2022

Oscillant entre l’art du paysage et celui de l’architecture, la peinture de Mathilde Lestiboudois invente des lieux, un tout nouveau monde qu’il nous est possible d’admirer, non sans inquiétude. Loin des scènes traditionnelles de nature déchaînée, l’espace est ici épuré à l’extrême. Les paysages sont froids et ouverts sur l’infini, avec pour seul repère une ligne d’horizon et les lueurs d’un astre qui se lève ou se couche indifféremment. Bien plus qu’un spectacle qui séduit son audience, les paysages peints s’imposent alors comme métaphore de l’harmonie ou du désordre de la société.

Quelques objets du quotidien, une chaise, une table, des draps blancs – tous évoquant de façon évasive une présence humaine – sont soigneusement agencés et entourés d’éléments architectoniques incomplets. Les colonnes, les arcs en plein cintre, les escaliers ou les portes ne menant nulle part sont les obsessions de Mathilde Lestiboudois. Nous sommes devant ses toiles comme devant un spectacle, assis dans la salle d’un théâtre, dans l’attente des comédiens ou à la fin d’une représentation. Sans imposer un modèle de pensée et sans chercher l’émotion facile du regardeur, la peintre nous propose de monter sur scène et nous emparer de cet espace. Elle nous invite à y projeter notre propre fiction : là une naïade qui après s’y être prélassée a oublié son drapé près d’un bassin; ici la curie antique qui vient de prendre fin laissant l’empreinte des corps des hommes politiques sur les fauteuils recouverts de draps blancs.

Imprégnées de références tant à l’architecture de la Grèce antique qu’à celle de l’Espagne moderne, les peintures dégagent une aura magique et énigmatique. C’est cette atmosphère suspendue qui permet une projection presque thérapeutique : certains y voient des espaces harmonieux créant un sentiment de sérénité quand d’autres perçoivent au contraire le vide dans la composition avec angoisse.

En s’éloignant ainsi de ce que l’on attend traditionnellement de la peinture de paysage et d’architecture, Mathilde Lestiboudois s’adonne à la construction concrète et symbolique d’un espace à soi, un espace de liberté et de paix. Si un lieu – au sens anthropologique du terme – est un repère pour les individus, un endroit imprégné d’histoire et le théâtre des relations sociales.

Les espaces dans lesquels nous transportent Mathilde Lestiboudois ont plutôt tendance à bouleverser nos certitudes. Elle propose une toute autre expérience : celle de la solitude, de la flânerie et de l’introspection personnelle. L’exactitude des volumes, la précision de la perspective et la tranquillité chromatique donnent l’impression que le temps s’est arrêté, que le réel a été figé par la vision de la peintre. Par cet ordre figuratif statique, on cherche à pénétrer l’intimité des choses offertes au quotidien et qui pourtant ne se laissent jamais conquérir. Cette poésie des objets ordinaires est la promesse d’une peinture atemporelle dont la méditation est la composante principale. Nous ne sommes plus enfermés dans la cruauté du monde contemporain et pouvons nous délecter avec malice de l’absence de l’être humain. Place au rêve, perdons-nous dans la peinture, suivons là en toute confiance, comme on suivrait une boussole déréglée qui nous entraîne vers un trésor caché.

C’est lors de cette errance, à cet endroit symbolique au-delà de l’apparence physique de la réalité, que se découvre un espace mental ouvert à une plus grande liberté contemplative, un lieu à soi de la création.

Marie Perennès